L’aquarelle en mots

Depuis 2017, j’ai noué avec l’association « Tisseurs de mots », des liens particuliers et amicaux.

Les stagiaires de « Tisseurs de mots ».

Leurs ateliers d’écriture s’associent aussi avec des événements d’art, comme la Biennale Internationale d’aquarelle de Brioude (Haute-Loire). Voici deux textes inspirés de mes batiks d’aquarelle :

« Birdy », batik d’aquarelle, 60×60 cm,

 » Birdy

L’approche du port d’attache libère un cri sous la boule en fusion. C’est l’heure du soir, le retour au nid. L’heure bleue est bien loin et pourtant, l’aquatique inonde le ciel de lacs et d’étangs -albinisme brutal d’une nature saisie.

Les Everglades répandent leur déambulation sauvage, étendent leurs canaux au plus large
cherchant le moindre espace à noyer de couleur.

D’une inspiration l’eau se gonfle, l’oxygène en bulles crève sa peau. Elle frémit d’une palpitation avant de se poser sur le rythme imposé.

Transparence nacrée de dentelles de moucharabieh dilue l’espace d’un papillon
dépigmenté.

Figé dans la cire l’oiseau repose. Percuté de bleu pâle on le devine caméléon.
Ils se regroupent, posés en fruits sur branches frêles. La toile de l’arbre s’étire pour
accueillir.

Les cernes déroulent leur âge squelettique, jusqu’aux fourches la sève se ramifie.
Là encore la vie palpite, pousse les limites, attaque la cire qui la fige.
La digue cède, l’eau déborde, l’eau m’enlace.

Birdy plane en ombre tachetée sur mon corps englouti » .

Claudine, Brioude, juillet 2023

La joie d’une matinée de partage d’impressions !

« Eden

Eruption claire du vert terre transformée jaillie du profond d’un univers englouti
Parce que fin du monde mais après la fin après nous disparus en ce tremblement de terre
De vie de mort
Tout disparu des autres et de nous t’en souviens-tu
Mais est-ce à toi que je parle Loreleï ma petite sur ton rocher de perdition
Notre dernier rendez-vous
Les premiers grondements des entrailles de la terre nous nous étions serrés atterrés
Puis après la terre le feu et ensemble consumés jusqu’à ce jour
Il n’y a plus de jours au calendrier d’aujourd’hui un nouveau monde sans date
Il pleut encore des scories Pourquoi suis-je là SEUL où es-tu ma Loreleï
Il n’y a plus d’eau et pourtant
Pourquoi cet arbre de lave fondue et le vert d’une renaissance et ces écritures de blanc/céruse
dans ton feuillage
Tu avais les yeux verts ma Loreleï et les voilà cherchant dans les branches où regarder sans être
vu
J’ai reconnu tes yeux vert amande encore cachés dans leur housse de velours tendre
J’ai reconnu tes membres frêles comme porteurs de feuilles/enfants
Et ton corps de lumière apprivoisée
Il pleut des souvenirs dans ma tête alourdie dans ma terre retournée
Est-ce toi Loreleï ? Est-ce toi mon amour réincarné en cet arbre de lumière
Je reconnais en toi les traits les traces les couleurs l’expérience de plusieurs vies
Que caches-tu sous ton sourire … »

Marie-France, (13 juillet 2023)

Au Festivalet des ateliers d’écriture 2017 de Blesle (Haute-Loire) ( Tisseurs de Mots), en écho à l’aquarelle « Incognito »,  Josette Magnon (Montélimar) a écrit ce texte :

« Aujourd’hui, à Blesle, on me parle de reflets, de bords entre deux mondes, et, vraiment, j’y suis, entre deux mondes ! Celui de mon enfance, et celui de maintenant, si différent, tant pour le lieu que pour les pensées qui m’animent…

« Incognito », c’est le titre d’un tableau. Une aquarelle d’ Emmanuelle Brunet.

Une femme jeune, élégante, se promène dans les beaux quartiers d’une grande ville…Pourquoi pas Alger ?

Dans les années 50, c’était un « petit Paris », avec des immeubles haussmanniens, de larges avenues, de beaux balcons, de belles vitrines.
Cette jeune femme s’appelle Marie-Lou. Elle est bien vêtue, elle porte une robe d’été à impressions, une robe de marque, chic, un chapeau, un sac Chanel avec une chaînette…Le soleil méditerranéen caresse sa peau. Elle peut circuler seule et sans voile. Elle fait partie des européennes qui n’ont pas à se cacher, à qui la vie sourit, car on est encore en paix. Elle peut profiter de sa liberté, sans inquiétude.
Sa fille est au lycée, elle a la clé de l’appartement, donc pas de souci. Son mari est en déplacement. Nulle obligation de rentrer tôt, la vie est belle !
Dans les vitrines, son reflet lui plaît. Alerte, avantagée dans cette tenue, elle chantonne une romance à la mode. La mode et l’air du temps, tout ce qui rend sa vie si légère…

Et pourtant, derrière tant de brillance, une ombre au tableau ne lui apparaît pas.
Un jour, ce temps béni ne sera plus que souvenir. Ce pays de rêve, il faudra le quitter. Il faudra vivre sous d’autres cieux, affronter vieillesse et solitude.

Au premier plan du tableau, figure une boule, faisant partie du décor de la vitrine. Boule de cristal, pour savoir l’avenir ?

J’ai voyagé d’une rive à l’autre.
De la Méditerranée à cette rivière à mes pieds, qui court si joyeusement.
Elle me dit toute la transparence du temps qui passe, et que rien ne retient. Le beau visage de Marie-Lou s’y reflète.
Marie-Lou qui préférait les apparences.
Marie-Lou qui ne songeait pas qu’une petite fille souffrait de solitude.
Marie-Lou qui est partie vers d’autres cieux.
Tu ne me quittes plus.
Je t’aime, maman ».

Au Festivalet des ateliers d’écriture 2017 de Blesle (Haute-Loire), (Tisseurs de Mots), en écho à l’aquarelle « Chapeau-bas », Christine Dupont (Clermont-Ferrand) a écrit ce texte :

 » J’ai attendu ce lundi
Cette bicyclette rouge
Abandonnée avec légèreté
Contre le mur de sa maison.
Comme tous les lundis.

Je me suis d’abord recroquevillé
Sur le trottoir chaud et poussiéreux
Corps frissonnant dans un soleil de plomb
Jambes repliées, cœur éclaté.

Puis, me suis levé, doucement
Très doucement,
Découvrant dans le reflet
De la vitrine du chapelier
Mon corps suspendu à l’attente,
A l’éclat de son regard
Au timbre de sa voix
Au frémissement du rideau,
Tout là-haut.

Franchir le seuil, « Bonjour Monsieur »
Traverser la vitrine
Pour me fabriquer une image
Choisir entre le trouble ou le limpide,
La transparence ou l’apparence.

« Un chapeau, plutôt ! s’il vous plait »,
A la fois contenant de mes pensées,
De mes espoirs, de mes émotions, de ma quête
Mais ne cachant pas mon regard
Dans lequel je me contemple, m’admire,
Me raconte une histoire.

« Un gant seulement, s’il vous plait »
Pour me laisser le choix

Le choix du souvenir de ma main sur la poignée brûlante
Et rugueuse de la lourde porte, de
celui de sa peau, des douceurs rêvées.

Ou le choix du souvenir d’une main insensible,
Pour ne pas craindre de souffrir, de regretter,
Pour frapper de rage ce vélo trop rouge.

« Ce foulard, s’il vous plait »
Pour cacher mes tendons qui se figent,
Ma déglutition bruyante et ridicule
Pour étouffer ma voix, l’étrangler, la protéger,
Je ne sais plus,
Ou bien choisir de respirer,
Vers des étendues de mots d’amour
Prometteuses et fertiles,
Vastes à s’en étourdir et à se perdre.

Ressortir, face à la vitrine maintenant.
Mon âme se débat, se cogne contre
Des blessures que je crois incurables.
Cette image délicate et éphémère dans ce miroir
Je l’aime et je la hais tout à la fois.

Sur le vélo rouge
Un chapeau sur le guidon,
Chatouillé par le vent
Un gant par terre, piétiné,
Et une écharpe qui s’envole

Je suis rentré, dans un murmure,
Mes mains tâtonnant dans l’obscurité
De son alcôve,
Nu, libre d’aimer. « 

Merci à Cécile Luquet et Igor Birat, pour leurs approches et écoutes.

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